6 novembre 2013, retour à Melilla, il est midi. Je me dirige vers le café de la Plaza de las Culturas. Cette fois-ci, je pars à la rencontre de José Palazon. Le porte-parole des sans droits de l’enclave: les sans papiers. Il se déplace souvent avec un de ses nombreux appareils photo. Ces « attrape images » lui permettent de saisir chaque moment de détresse, de douceur, de protestation des migrants qui arrivent dans l’enclave. Très actif sur les réseaux sociaux, il participe avec d’autres associations nationales et européennes à des actions dénonçant la situation des migrants illégaux.
Les gens ont peur de parler […] Tout le monde dépend des pouvoirs publics ici.
« On va bientôt lancer un site consacré à la situation des migrants et des frontières. L’idée serait de recueillir des informations venant de personnes de différents pays et horizons.
Son téléphone sonne pour la seconde fois en l’espace de deux minutes. Dans l’enclave, tous les migrants connaissent le militant et c’est au quotidien qu’il leur vient en aide. Très sollicité par la presse également, il est l’une des rares personnes à défendre publiquement les droits souvent bafoués des migrants à Melilla. Lors de cette entrevue, nous aborderons deux thématiques.
— Tu es toujours autant sollicité…
— Les gens ont peur de parler. Ils soutiennent de loin par peur de représailles. Ils ne peuvent pas aller dans le sens contraire du discours officiel. Tout le monde dépend des pouvoirs publics ici. Les associations, par exemple, craignent qu’on leur enlève leurs subsides.
Depuis la fin des années nonante à aujourd’hui, plusieurs lieux ont été mis à la disposition des migrants mineurs.
C’est d’ailleurs grâce à des subsides du gouvernement qu’il existe aujourd’hui des centres pour mineurs en exil à Melilla. Les enfants migrants, voilà notre première sujet de conversation. Lorsque José s’est installé en 1998 dans l’enclave, ces jeunes également appelés MENA, acronyme de mineurs étrangers non accompagnés, n’avaient aucun endroit où aller. L’association pour les droits de l’enfance (Associacion Pro Derechos de la Infancia) à Melilla, dont José Palazon est l’un des fondateurs, a fait appel aux institutions nationales, aux médias et à des avocats pour dénoncer cette situation. Depuis la fin des années nonante à aujourd’hui, plusieurs lieux ont été mis à la disposition des migrants mineurs.
— Il y a un centre pour les Marocains et enfants étrangers arrivés récemment bien qu’ils puissent y passer de nombreux années. Il y a un autre centre pour les enfants que l’on considère intégrés. Il y a également différents endroits pour les filles et quelques appartements pour les migrants fêtant leur majorité et qui sont intégrés.
D’autres MENA, pour des raisons diverses -rébellion, peur ou rejet du système, mauvais comportement, problème de toxicomanie- vivent dans les rues de la ville.
— Combien de MENA compte-t-on actuellement dans l’enclave?
— Dans les centres, ils sont un peu moins de 200.
— Et à l’extérieur?
— On compte près de quarante mineurs sans domicile fixe. C’est très triste.
— Les MENA sont majoritairement originaires du Maroc, c’est bien cela?
— Oui, on compte 90% d’enfants Marocains. Mais il y a également des enfants qui viennent de beaucoup plus loin. Dans les centres, on accueille en ce moment un Congolais, un Camerounais et un Guinéen.
— De manière générale, quel âge ont-ils?
— La plupart ont entre 15 et 17 ans. Le plus jeune a 10 ans. Ils sont pris en charge jusqu’à la majorité. Ensuite ils sont expulsés, ce qui est complètement illégal. L’administration espagnole a les mêmes responsabilités qu’ont des parents sur leurs enfants. Par conséquent les jeter à la rue est illégal.
Les lames provoquent de graves lésions. Ils ont connu bien pire, ce n’est pas ça qui va les arrêter.
Un soupir et un autre coup de téléphone interrompt et met fin à notre conversation sur les enfants migrants. Mais il est impossible de conclure cette interview sans parler de l’actualité du moment dans l’enclave: las cuchillas, les lames.
En effet, quelques jours auparavant, Madrid a décidé de placer à nouveau des lames de rasoir sur six des neuf kilomètres de grillages longeant la frontière. Ce dispositif avait déjà été mis en place en 2005 en réponse à des arrivées massives pendant l’été. Le gouvernement espagnol a finalement décidé de retirer les lames du côté espagnol au début de l’année 2007. Mais alors pourquoi les réinstaller quelques années plus tard?
— En réalité, le dispositif n’a jamais réellement été enlevé. Du côté espagnol, les autorités ont retiré uniquement ce qui était visible. Cependant côté marocain, il y en a toujours et de très coupantes et ce, à partir du sol. Ils ont remis des lames sur le haut des grillages côté espagnol pour dissuader les migrants de faire la traversée. Les lames sont censées avoir un impact psychologique sur eux. Cela provoque surtout de graves lésions. Ils ont connu bien pire, ce n’est pas ça qui va les arrêter.
Généralement lorsqu’un migrant tente de traverser la frontière, il évite les lames au sol du côté marocain en posant une échelle sur les grillages. Plus dangereuses, il lui est impossible d’éviter les lames situées au sommet de ce rideau de fer métallique. Il se blesse alors automatiquement.
— Après le naufrage de Lampedusa, où près de 500 migrants ont perdu la vie et ce, un mois auparavant, il est étrange qu’une telle décision soit prise non?
— L’Union européenne provoque ces situations. Les barques qu’utilisent les migrants pour traverser vers Lampedusa sont comparables aux lames de Melilla. C’est un obstacle supplémentaire. La mer est une lame. À Melilla, les autorités espagnoles accusent les autorités marocaines. À Lampedusa, les autorités italiennes blâment l’océan. Il y a des mers de lames et il y a des mers d’eau… conclue José. »