Dix novembre 2013, dernier réveil à Nador, je charge une dernière fois l’appareil photo. J’ai rendez-vous au Moulen, un café-restaurant familial pour discuter de la promotion de la culture dans le Nord du pays avec Hafid Badri, Taoufik Fakher et Mounaïm Pavane. Établis dans des villes différentes, les trois acolytes se retrouvent de temps à autre pour des projets artistiques et humanitaires. Hafid  Badri a invité ses deux amis à l’exposition Nadart.

 Une ville sans cinéma

La culture dans le Nord du pays reste encore très peu accessible. Nador dispose de peu d’infrastructures. Le centre culturel accueille principalement les activités artistiques telles que des pièces de théâtre, des ateliers de peinture et des projections cinématographiques dans le cadre, par exemple, du festival du film et de la mémoire commune. Et dans le même temps, la ville de Nador n’a plus de cinéma. Le Cinéma Rif, bâtiment longtemps fermé et laissé à l’abandon, a été détruit il y a quelques années. La culture du grand écran existe mais à travers des événements ponctuels.

 Travailler pour manger,  créer pour vivre

« Ici (au Maroc), la culture est considérée comme un passe-temps. Moi par exemple, je suis  passionné de musique, je suis d’ailleurs ingénieur du son. Mais à côté de cela, je suis greffier. On travaille pour manger et on crée pour vivre, lance Taoufik Fakher.»

« L’art est à la fois secondaire et indispensable, rajoute Mounaïm.» Cette vision semble contradictoire et pourtant… Mounaïm  est passionné par la poésie et Hafid par le théâtre. Ils ne « gagnent » pas leur pain grâce à ces arts mais ils ne le vivent pas comme une fatalité.

Je me rends une dernière fois sur le boulevard Mohamed V pour prendre des clichés des installations sur la promenade en plein jour. Le soleil est au rendez-vous. Les organisateurs de Nadart, Mina Ahkim, Hafid Badri aussi.

 Partir sans trop savoir quand revenir

Ensuite vient le temps des aurevoirs aux proches, ces moments d’amour et de chagrin inévitables. Deux sentiments cohabitent, la reconnaissance d’avoir dans sa vie la richesse d’une double culture, l’amour d’une famille si proche et si différente à la fois, le bonheur de voir tous ces sourires sucrés au fil des jours. Puis le sentiment du manque, de la tristesse, partir sans trop savoir quand revenir, penser à chaque visage, celui des proches et ceux des personnes rencontrées, se remémorer leurs histoires et leurs larmes salées.

18h40: décollage de l’avion. Je m’envole vers la Belgique avec une décade d’histoires. J’emmène également dans mon bagage une autre série de réflexions. Et si  tout n’était qu’une question de frontières? Le voyage en lui-même requiert d’en traverser. Ensuite il y a ce bout de nous qui transparaît dans chaque déplacement, chaque questionnement. Ces frontières, ce sont aussi celles brisées par ces artistes qui offrent un autre visage à la ville de Nador grâce à l’art. Il y a enfin ces barrières frontalières de Melilla franchies par les migrants dans l’espoir d’échapper à la guerre, à la dictature, à la famine.

Derrière toutes ces frontières, quelles soient à peine visible ou palpable,  se cachent un combat . À travers mes rencontres, j’ai voulu partager avec d’autres un regard, puisse-t-il ne jamais être le dernier.