1er novembre 2013, 9h du matin, j’arrive sur le tarmac de l’aéroport de Araoui dans la Province de Nador.

Le temps est délicieux, une légère brise caresse les visages endormis des passagers sortant de l’avion. Les quelques rayons de soleil décrochent des sourires aux nouveaux arrivés à mesure que les mètres vers la sortie de l’aéroport disparaissent.

Sur la route m’emmenant vers la ville de Nador, mille interrogations se bousculent dans ma tête. Mais cela ne m’empêche pas d’apprécier le paysage indécis entre verdure et terre asséchée par un automne avare en pluie.

— Qu’Allah nous apporte la pluie, lance le chauffeur. Une prière que beaucoup font en cette saison où l’irrigation des terres est primordiale pour nourrir les familles d’agriculteurs et les marchands de fruits et légumes de la région.

Arrivée à mon gîte, je déguste une belle grenade gorgée d’eau, son rouge éclatant, son goût sucré font oublier cette fatigue, ces appréhensions du voyage. Il est 11h à Bruxelles, 10h au Maroc, la journée est encore jeune.

Pour démarrer ce séjour, on commence par les courses au souk: de la menthe, des sardines fraîchement pêchées, des oranges et quelques légumes viennent alourdir une multitude de sacs plastique noirs.

Puis vient ce moment tant attendu, la visite des proches: les grandes embrassades, les sourires, les larmes de joie de ma grand-mère.

«Merci»

— Pourquoi merci?

— Merci d’être là, me répond-elle en souriant.

Ces moments inestimables me bousculent toujours intensément. Le temps a beau courir, ce bonheur gravé marque pour l’éternité. Après cette jolie parenthèse, emplie d’amour, il est temps de se remettre au travail. Direction le centre-ville pour recharger la carte de téléphone: joignable, toujours. C’est important, primordial lorsqu’on sort seule à Nador… Cela se confirmera très vite. Alors que je tente d’arrêter un taxi, un jeune homme me fait signe de monter dans sa voiture. Je lui fais comprendre d’un regard mon refus, il suivra la course de mon petit taxi de couleur rouge roulant beaucoup trop vite jusqu’à mon point d’arrivée: l’hôpital public. Je continue à marcher droit devant moi, indifférente, stoïque. Il accélère à ma hauteur, je disparais dans les escaliers d’un des bâtiments. Tout va bien.

J’arrive dans un couloir très peu éclairé. Une odeur nauséabonde d’urine s’échappe des sanitaires. Mais cela ne s’arrête pas là. J’entre dans la chambre. Une vieille dame est recroquevillée dans le lit face à celui de ma tante admise pour l’amputation de deux orteils. Diabète. Le visage de sa camarade chambre est creusé par la douleur et la vieillesse, son regard figé fait froid dans le dos. De temps à autre, elle appelle à l’aide pour qu’on lui donne à boire. J’ai des frissons.

Cinq des huit lits de la chambre sont inoccupés.  Les matelas sont immaculés de souillures. Le délabrement est visible, les murs s’écaillent, le sol crasseux et les patients sont laissés, un peu comme leur chambre, à l’abandon.

— Pourquoi tu n’as pas de perfusion comme ta voisine de chambre?

— Parce que ça me fait mal, répond ma tante endolorie.

— Mais tu ne vas pas guérir si tu ne mets pas ta perfusion. Tu viens d’être amputée, il te faut des antibiotiques.

— Le docteur va venir ce soir, il va me donner des médicaments pour guérir.

— Mais où sont les infirmières?

Ce n’est pas grave ma fille, ne t’inquiète pas.

Si, c’est grave!

La rage me monte jusqu’au bout des yeux. Silence dans la salle. Je sors de la pièce. Après quelques minutes à la quête des dames en blanc, une jeune fille m’indique leur local de repos. L’endroit est propre et joliment aménagé. On se croirait dans un joli petit appartement. Avachies dans le salon, trois femmes regardent la télé. Elles ont l’air hypnotisées. Au programme: un soap turc très mal doublé mais qui connait un grand succès au Maroc et même dans les chaumières des MRE (Marocains résidents à l’étranger).

— Salam, ma tante n’a pas de perfusion et elle a subi une opération. Est-ce que quelqu’un peut lui la remettre s’il vous plait?

— Qui est votre tante? Quand s’est-elle fait opérer?

— Ma tante se trouve dans la dernière chambre au fond du couloir. Elle s’est fait opérer hier. Elle a été amputée. C’est une vieille dame, pouvez-vous l’aider s’il vous plait?

— Votre tante a enlevé sa perfusion. Cela ne sert plus à rien de la remettre. Le docteur va venir lui donner un médicament. dit-elle tout en continuant à fixer le téléviseur.

— Pouvez-vous me dire quand il rend visite aux patientes?

— Bientôt, bientôt. Disons dans une demie heure.

— Ok… Merci, lui-dis je en souriant, mais elle n’en a rien vu. Son intérêt pour ses patients était aussi petit que l’écran devant lequel elle était scotchée, ne voulant rater aucune miette de son téléfilm à l’eau de rose. L’heure tourne, toujours pas de docteur. La nuit tombe et nous sommes malheureusement contraintes de rentrer. Il passera peut être demain, une ronde de nuit peut être? Mais quelle naïveté…

19h, chez mon oncle. Les femmes de la maison s’affairent à préparer un bon repas pour le dîner. Chaque visite est une célébration. Après ce moment d’agitation dans les cuisines, puis dans le salon. Je m’éclipse sur le toit, qu’on appelle stah en arabe. Les toits, étendues plates souvent carrelées, sont également des espaces de vie au Maroc.  Un verre de thé à la main, je contemple les lumières des maisons et profite d’un court et précieux moment de solitude. Je respire et fais le vide. Je suis en terre connue.