À Mohamed Ibrahim, Amina, Dalia, Imane, Moustafa, Chaima, Souleymane, Abass, Madina, Ines, Nermine, Souheila, Zakaria et à tous les migrants qui cherchent un refuge, un monde meilleur.
Jeudi 3 septembre 2015, il fait un peu froid au parc Maximilien. A deux pas de la gare du Nord bruxelloise, un peu de verdure, un terrain de jeux et des migrants… Ils sont une centaine peut être deux cents. La capitale de l’Europe voit arriver en son sein des réfugiés sans refuge fixe s’installant au compte-goutte dans ce parc. Deux écriteaux sont suspendus aux arbres dans le parc Maximilien. Sur l’un, on peut lire « health care » et l’autre « clothes ». Quelques bénévoles distribuent des shampoings, des brosses à dents, du dentifrice, des pansements, des produits de première nécessité, de premiers soins. Des vêtements sont déposés à même le sol un peu comme dans un marché aux puces. Un peu en vrac mais surtout pour pallier une urgence. Dans la capitale de l’Europe, il y a des réfugiés sans refuge fixe. Un autre camp de migrants est en train de naître non bien loin de Calais.
La crise des migrants en Europe a été le sujet dominant de tous les médias durant l’été 2015. Les réfugiés en grande majorité Syriens affluent vers le vieux continent. Beaucoup traversent la Hongrie, la Serbie. Certains s’arrêtent en Grèce, d’autres périssent en mer. Une photo d’un petit garçon, Aylan, fait la Une sur les réseaux sociaux. Et puis il y a ceux qui continuent leur route et arrivent en Belgique devant l’Office National des Étrangers. Un bureau administratif surpeuplé, des fils interminables, un millier de personnes attendent devant l’office le lundi 30 août 2015… L’attente est de plus en plus longue, du coup, les réfugiés restent dans les alentours, ils se posent dans le parc. Associations et citoyens apportent, avec les moyens du bord, une aide aux exilés.
Échanges de sourires, les enfants acceptent quelques bonbons, certains d’une voix timide disent « merci ». Les parents s’affairent au tour des vivres qui arrivent peu à peu, de manière aléatoire, spontanée et chaleureusement désorganisée vers le camp. Je rencontre une jeune femme, ensemble on se pose un tas de questions: Qui est responsable du camp?, Combien de temps vont-ils restés à l’extérieur? Ne serait-ce pas à l’État de s’occuper des réfugiés? Où peuvent-ils se laver? Ont-ils assez à manger?.
– Khamssa loulad, khamssa loulad, 3andi khamssa loulad! (5 enfants, 5 enfants, j’ai 5 enfants) me lance une dame à la vue des bonbons. Ce regard, ce visage je le connais. Pétrifiée, abasourdie. Les secondes appartiennent à un autre espace temps, à un autre lieu, à une autre détresse: Melilla.
– Je te connais! Je te connais! On s’est rencontrées à Melilla. Melilla! Melilla! Melilla!
Son regard méfiant et fatigué me traverse, un silence s’installe. Une jeune fille arrive près de sa mère, un autre visage connu: Dalia. Elles se regardent, se parlent. La maman me reconnait enfin. Un sourire arrive sur son visage terni par l’exil. Les larmes, elles, mettront moins de temps à submerger cette rencontre. La jeune femme, qui distribuait les bonbons reste près de moi sans trop comprendre ce qui vient de se passer.
Il y a deux ans cette femme était à Melilla, je l’ai rencontrée elle, ses enfants, leur grande famille et aujourd’hui, elle est là, face à moi dans ce parc, ce camp de réfugiés sans refuge fixe naissant dans la capitale, dans ma capitale Bruxelloise. Le monde devient si petit et les questions toujours si grandes, immenses.
Comment imaginer un périple de deux ans à travers une rencontre fortuite qui sonne comme un rappel? Le monde change incessamment, on lui fait face ici dans cet espace vert. Les barrières resurgissent, les frontières disparaissent puis réapparaissent lorsque nous tentons de nous parler.
La maman, Amina, ne parle pas français, sa fille Dalia se débrouille un peu et m’explique qu’à Melilla, ils ont décidé de rejoindre leur seul contact en Belgique: un cousin à ses parents, son épouse voyage avec eux. Flash back.
Une fois arrivés dans la Péninsule, ils ont arpenté l’Europe en train. Du Sud au Nord, ils sont restés ensemble dans le but de rencontrer à nouveau ce membre de la famille, ce visage connu, ce lien porteur d’espoir. Du Sud au Nord. Cette crise migratoire, cette famille dans ce parc, ces bonbons, tout cela n’est pas un hasard, ce n’était pas un dernier regard, c’est tout simplement une seconde rencontre. La première dans un bout de terre espagnol au Nord de l’Afrique, la seconde dans un bout de terre en centre de l’Europe.