Fabriquer son propre amour à Tolède

Tolède, cela fait 15 ans que je veux y aller. 15 ans. Le temps passe vite, trop vite. La première fois que j’ai entendu parler de Tolède, c’est durant mes études de traduction multidisciplinaire. Ville d’échanges, chargée d’histoire où Musulmans, Juifs et Chrétiens se sont entrecroisés par la force ou le négoce en fonction des pouvoirs politiques et religieux au pouvoir. De nombreux scientifiques, commerçants venant de tous bords sont passés par cette ville de Castille. Il n’est donc pas surprenant que traducteurs, écrivains et philosophes s’y soient installés pour y penser, écrire l’histoire et faire circuler le savoir. Au XIIe siècle, la ville devient d’ailleurs un centre de traduction très réputé, et un lieu de rencontres entre les savants des trois grandes religions chrétiennejuivemusulmane mais la plupart des élites musulmanes s’est exilée après la Reconquista. La communauté tient alors un rôle majeur dans la traduction de la science gréco-arabe et dans les fonctions d’administration.

L’empreinte des gens du livre dans cette ville me donne des frissons.  Les églises ressemblent à des synagogues, les synagogues à des mosquées, les mosquées à des églises. Cette confusion est belle même si l’histoire qui les lie a été pour la plupart du temps d’une grande violence. De ces conquêtes sanguinaires, reste aujourd’hui une forteresse remplie d’histoires. J’aime tellement les forteresses que j’ai fini par vivre dans l’une d’elle, et tout cela pendant un confinement de l’autre côté de la Méditerranée à Rabat.

Les murs, les couleurs, les ornements, les briques, les hauts plafonds des bâtisses me rendent folle. Je tombe amoureuse, je fonds pour ce lieu mutant, jadis puissant, au cœur de la Péninsule. Je m’émerveille dans ces ruelles sinueuses et labyrinthique de cette citadelle imprenable. A Tolède, la protectrice, je prends de la hauteur et me nourrit de beauté, de visites, de bonnes tablées, de descentes et de montées. Comme un air de Lisbonne… Les deux villes sont liées par un puissant fleuve : le Taje. Démarrant sa route en Espagne, c’est dans la capitale portugaise qu’il finit son voyage avant de rejoindre l’Océan Atlantique, un peu comme moi durant ce périple. Je me laisse porter par le courant. On y reviendra…

15 ans, 2 stops, 9 heures de route plus tard, j’y suis enfin. J’ai la chance de finir ma route avec une âme bienveillante. Voyant l’excitation dans mes yeux, Christina, qui fait tous les jours la navette entre la capitale espagnole et Tolède, décide de m’emmener au mirador del Valle, l’une des vues les plus belles sur la ville. C’est le coup de foudre, je n’ai jamais été aussi heureuse de me faire un tel cadeau. Perfusion de contemplation à l’état pur.

Le séjour fut court, une nuitée et deux jours. Mais je l’ai vécu intensément. Une fois arrivée à l’hôtel, je me prépare rapidement pour dévorer la ville. Restée statique durant des heures, j’ai besoin de bouger et de me reconnecter. Tête dans le ciel, grand sourire, je suis aux anges. Je me perds dans la ville avant de choisir une table dans un restaurant typique de la région. Je m’offre un tête-à-tête avec une vue splendide. Je marche jusqu’à ne plus sentir mes pieds. J’ai faim de cet endroit. Avant de prendre congé de ses rues et sentiers, j’admire une œuvre située à quelques mètres de l’hôtel : une installation avec des ailes dorées, qui me rappellent à quel point, je suis en quête de cette liberté, à quel point j’aime voler dans les airs, à quel point j’ai besoin de m’évader pour guérir, pour m’aimer. Une fois dans mon gîte, je continue d’observer l’œuvre depuis le toit de l’hôtel. J’y rencontre un couple de madrilène venu pour le week-end. Ils me demandent :

  • C’est la première fois que tu visites Tolède ?
  • Oui, ça fait longtemps que j’avais envie de la visiter. Et vous ?
  • On s’est organisé un voyage en amoureux. C’est une ville très romantique. Tu es seule ici ?
  • Oui et cela me fait beaucoup de bien.
  • C’est vrai, pourquoi pas ? Seul.e ou accompagné.e, ça n’enlève rien à la magie.

Je nage en plein bonheur. Perchée tout là-haut sur le mirador, j’ai du mal à redescendre. Le lendemain, j’ai prévu une visite guidée de la ville via les opérateurs de « free tour ». Ce sont des visites menées, la plupart du temps, par des étudiants en histoire, en histoire de l’art ou en lettres. Et à la fin de la visite, vous donnez ce que vous voulez. Cette manière de voyager favorise l’accès à la culture, à l’histoire et ça évidemment, je valide.

D’ailleurs, tout est validé dans la ville aux trois cultures : la cathédrale, l’église Santo Tomé, le monastère de San Juan de los Reyes, la synagogue de Transito, la mosquée du Christo de la Luz, les quartiers Juif et des couvents, c’est le tourbillon, un mélange fou qui m’enivre.  J’ai arpenté cette ville en moins de 48h. Je ne suis pas rassasiée mais rester plus n’y changerait rien, je ne le serai jamais. Je suis sur le départ et j’ai déjà envie d’y retourner. Je cherche un co-voiturage pour descendre vers le Sud. Mais pour voyager à petit prix, je dois repasser par la capitale.

Je récupère mes valises à l’hôtel et me dirige vers l’entrée de la ville et voit à nouveau cette statue aux ailes dorées mais cette fois-ci entourée de touristes, en plein shooting photos. Habituellement, j’aurais trouvé ça ridicule, mais là je suis tellement fan que moi aussi, j’ai envie d’un souvenir de touriste. J’ai envie de capturer ce moment de contemplation, de silence, d’écoute de soi. Je n’ai jamais aussi été reconnaissante envers moi-même. Je sors de ma forteresse pleine d’émotions : je me libère et me donne de l’amour. Cela me retourne les tripes car cet amour, je l’ai fabriqué par et pour moi-même.

C’est reparti pour la vadrouille. Direction Madrid.

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