Oser à Madrid

J’arrive dans la capitale au creux du crépuscule. J’ai un peu dépassé le budget des vacances. Voyager seule coûte cher, très cher et Madrid aussi. Pour la première fois depuis longtemps, je réserve dans une auberge de jeunesse en plein centre. J’appréhende les bruits de ronflements, des conversations et la literie inconfortable. Ce n’est qu’une nuit, une seule. A l’accueil, je croise plein de visages aux traits juvéniles. Je me revois plus jeune visitant l’Andalousie avec Gaelle pendant mon semestre en Erasmus à Malaga. Je souris en me demandant dans quoi je me suis embarquée. Voilà, c’est officiel, j’ai vieilli.

  • Hola, soy Leila, tengo una reservación para una noche. (Bonjour, je suis Leïla. J’ai une réservation pour une nuit).
  • Bienvenida Leila, soy Teo, ¿Has hecho un buen viaje? (Bienvenue Leila, je suis Téo. Tu as fait bon voyage ?)
  • Gracias por preguntar. (Oui. Merci de demander).
  • Necesito tu DNI para hacer tu check-in por favor. ¿Quieres un vaso de agua? (J’ai besoin de ta carte d’identité pour le check-in. Tu veux un verre d’eau).
  • Sí gracias por el vaso de agua, aquí tienes mi DNI. (Merci pour le verre d’eau, voici ma carte d’identité).
  • Tu es de Belgique et tu viens d’Anderlecht ? Mais c’est ouf !
  • Tu es Belge aussi ?
  • Mais ouiiiii, je suis aussi de Bruxelles !
  • Mais trop cool !

C’est fou ce sentiment d’appartenance ! Rencontrer quelqu’un qui vient de « chez soi », c’est rassurant. Je me sens tout de suite plus détendue. Téo et moi entrons très rapidement en connexion. Ce jeune homme d’une vingtaine d’années à peine me ressemble. Je me vois tout de suite en lui à son âge. Plein d’entrain, prêt à conquérir le monde. Il a décidé de quitter Bruxelles et tenter sa chance en Espagne. Ce belgo-espagnol ne se sent plus « à la maison » à Bruxelles et a envie de découvrir davantage le pays natal de sa mère. Cela me parle, évidemment. Il quitte une capitale pour une autre, plus grande, plus ouverte. La raison principale de son départ est celle qui pousse beaucoup de jeunes et de moins jeunes à plier bagage : se sentir libre d’être qui l’on est.

Je m’installe et salue mes compagnes de chambre. Je me prépare à sortir et demande à Téo si à mon retour, il serait toujours là.

  • Je finis mon service à 23h.
  • Ok, on se verra peut-être tout à l’heure alors.

Fatiguée, je décide de dîner à quelques pas de l’auberge. Dans ma tête, ma conversation avec Téo, tourne en boucle. J’engloutis ma tortilla et me dépêche de rentrer. Je n’ai qu’une obsession : interviewer Téo. Là aussi, j’y reviendrai plus tard…

  • Téo, j’ai quelque chose d’un peu fou à te demander.
  • Hey salut, mais tu es revenue super vite, dis-moi, qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
  • Tu accepterais une interview là ? Maintenant ?
  • Une interview ? Mais what ? Mais qu’est-ce que j’aurais de bien intéressant à raconter ?
  • Plein de choses, crois-moi.
  • Si tu veux (il rit). T’es sûre ?
  • Oui, tu es le premier que j’interviewe. Ce sera sûrement un peu brouillon mais j’ai vraiment besoin de le faire.
  • Allez, c’est parti.

On tente de s’isoler à l’étage pour éviter les bruits de porte et des passants. Je sors mon téléphone et c’est parti pour une interview improvisée avec Téo. Une fois l’enregistrement arrêté, on se regarde et on rit. On est tous les deux très surpris de ce qui vient de se passer. Téo a fini son shift. Je décide de l’accompagner. Je prends la route demain et j’ai de marcher et d’un Aquarius. Sur le bout de chemin que l’on a fait ensemble, on se promet de se revoir à Bruxelles et de continuer nos discussions profondes et suspendues.

Sur le chemin vers l’auberge, des jeunes enivrés par la fête et la chaleur de l’été, plein d’insouciance viennent contraster ce moment philosophique. Madrid jouit d’une riche architecture rappelant le passé colonial espagnol. Ses hauts bâtiments, ses colonnes phalliques, ces grands ronds-points, ces larges trottoirs, sa circulation : tout nous rappelle que l’on se balade dans une capitale, importante, imposante. On s’y fait facilement un torticolis si on appartient, comme moi, à la famille des têtes dans le ciel. En pyjama dans les rues madrilènes, je rentre le sourire aux lèvres. D’ailleurs, je ne fais que ça, sourire. Rien n’arrive par hasard et ce que j’avais estimé être une situation inconfortable, m’a permis de voir à quel point mon confort avait un impact sur ma créativité, mes ambitions, mon essence. J’aime les gens, leurs histoires et aller à leurs rencontres. Et ce soir-là, j’ai été servie. Téo m’a rappelé cette partie de moi, éteinte depuis trop longtemps. J’ai du mal à m’endormir ce soir-là. Heureuse et excitée de reprendre goût à mon amour pour le journalisme. Je me couche en me répétant ses mots : Leïla, tu es journaliste.

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