Nourrir son âme de silence et de solitude à Pontevedra et à Cangas

14 juin 2021, on embarque dans la voiture direction la ville de Saint-Jacques de Compostelle, j’ouvre le guide du routard et pointe la ville de Pontevedra du doigt.

  • C’est bien là, tu crois ?
  • Oui, c’est une jolie petite ville. C’est sympa pour se balader.
  • Ok, je vais là.

 

Une fois à bord de mon train, je réserve mon hôtel. Mon gsm indique 25% de batterie. Pas de bol, mon chargeur est resté dans la voiture de Julie. Un classique. Merci les stories sur Instagram, les recherches sur Google Maps et Booking. Je me laisse porter par le vent, mes intuitions et mes applications, tout ça à mon rythme et avec une batterie faible.

Je suis seule, toute seule. Je contemple les paysages, me demande pourquoi je ne suis pas descendue du côté de la mer puis décide de me lâcher la grappe deux minutes. A peine arrivée et sortie de la gare, je rachète un chargeur. J’apprécie le décor et ma compagnie mais je reste quand même bien restée connectée. Je valide ma réservation puis je prends plein de photos de mon super voyage solo. Je me rappelle à quel point, j’aime capturer l’instant, à quel point j’aime la photographie.

Lorsque l’on est né.e privilégié.e, il ne faut pas grand-chose pour voyager en solo : des papiers d’identité, de l’argent en cash, une carte bancaire de débit et éventuellement de crédit pour les réservations, un téléphone et une connexion. Perso, mon objet bonus qui ne me quitte jamais, c’est ma banane « Mra Ounos » (femme et demie, une expression en arabe qui veut dire femme forte). Et puis, une banane, c’est l’objet parfait, c’est attaché contre soi. C’est rassurant.

Boom : je revois maman agrippée à son sac pendant tous nos séjours au Maroc. Elle était la gardienne de nos précieux passeports et économies pour tout le mois. Une mère, ça porte vraiment la vie, dans tous les sens du terme. Mes parents en ont vécu des angoisses sur les routes européennes. Ce périple n’avait rien d’agréable pour eux dans les années septante. Et si nous les enfants, avons la nostalgie de ce voyage, les adultes, eux, ont dû, porter le fardeau d’emmener leur famille à bon port priant le ciel d’éviter les pannes, les pneus crevés, les vols, luttant contre les somnolences et le stress de l’oubli. Alors qu’aujourd’hui, en trois clics, la plupart de nos soucis sont résolus. Tu le sens mon privilège ?

J’ai beau m’éloigner, partir, pourtant celles et ceux à qui je pense le plus dans mes périples, sont mes proches. J’évoque ceux pour qui, voir leurs oiseaux quitter le nid, est et sera toujours insurmontable et angoissant. Ceux qui ont connu l’épreuve douloureuse de la migration. Ceux pour qui, partir rime avec douleur, sacrifice alors que pour moi, il est un soin, un médicament.  Un calmant contre l’angoisse dont j’ai hérité : « el wesswass »

Pour mon premier pied à terre en solo, je décide simplement de marcher dans la ville, de me perdre dans ses charmantes ruelles et de prendre quelques clichés. Je remplace mon pull resté chez Julie, autre oubli, par une jolie veste colorée, m’extasie devant dans des sacs en paille et en osier et finis ma journée sur une terrasse à déguster des croquettes aux crevettes.

Voilà comment je soigne peu à peu mes ailes brisées et mon âme incomprise. Je navigue au plus profond de mes entrailles pour voler à nouveau.

Le lendemain, je reprends la route pour Cangas, une petite ville balnéaire, à une heure de bus de Pontevedra, les paysages sur le trajet sont somptueux. J’ai envie de m’arrêter à chaque stop. La vue de tant de beauté me soigne : les couleurs, l’océan au loin, les pancartes des villages qui défilent. J’ai hâte de me baigner. Dans les oreilles, j’écoute du Pongo et cache derrière mes lunettes de soleil, des larmes de joie. Je me dis qu’un jour, je reviendrai en voiture. InchaAllah. Je me projette au volant de ma caisse, m’arrêtant au gré des envies, allant toujours plus loin dans mon désir de liberté.  C’est aussi ça, que je soigne ici.

Arrivée à la gare routière, située littéralement en face de la mer, je vois un groupe de personnes embarquées dans un bateau. Evidemment, j’ai envie d’embarquer. Je demande aux responsables de la billetterie où se dirige tous ces voyageurs. Au bout de dix minutes, j’ai organisé ma journée de voyage du lendemain.Billets en poche, je me dirige vers mon hôtel du jour. Je pose mon paquetage et prépare mes affaires pour une journée à la plage. Les vagues, le soleil et l’eau de mer pour nourriture pendant quelques heures. Bonheur. Tout est fluide.

Silencieuse, une grande partie de la journée, je me sens reine laissant les rayons du soleil caresser ma peau. Mais je sors quand même la crème solaire. Je n’ai clairement plus 20 ans. Moins jeune, moins innocente mais toujours aussi émerveillée. Je me suis tellement reconnaissante de ces moments de douceur. Je prends des photos de serviettes de plage accrochés aux balcons et fenêtres des maison, de boutiques d’un autre temps, d’étalages de fruits et légumes. Je découvre le centre-ville de cette bourgade de Galice. Puis retour à l’hôtel, au programme : un dîner avec moi-même. L’Espagne et ma combinaison orange me vont si bien. Je me sens « so fresh so clean clean ». En somme, je m’autokiffe. Sur le chemin, je me rends compte que cela fait déjà quelques jours que je n’ai pas appelé mes parents.

 

  • Allô papa, ça va ? Tu vas bien ?
  • Hamdoulilah ! Y chem tametlou3t ? Tkareth tazreth (Et toi la vagabonde ? Tu passes ton temps à « courir » en amazigh du Rif).
  • Moualikoum salam. Hamdoulilah, je ne te manque pas trop ?

Il rit, ne répond pas, évidement et enchaîne en me demandant :

  • Tu es où maintenant ?
  • Je suis dans le Nord de l’Espagne, je viens de rentrer à l’hôtel. C’est très beau ici, ça te plairait.
  • Tu es toute seule ?
  • Oui papa, je suis toute seule
  • Tu n’as pas peur ?
  • Non pourquoi, je suis dans un endroit sûr, ne t’inquiète pas pour moi.
  • Wahiya, ne t’inquiètes pas. Ils ont du miel là-bas ?
  • Promis, je t’en ramène.
  • Allez, va te coucher et ferme ta porte à clé.
  • Ok papa, ça marche.
  • Fais attention, ok ?
  • Ok papa, bonne nuit.
  • Bonne nuit, la vagabonde.

 

J’ai fermé la porte à clé et me suis endormie apaisée. Journée parfaite avec moi-même, le soleil, la mer et l’appel avec mon père.

One Reply to “Nourrir son âme de silence et de solitude à Pontevedra et à Cangas”

  1. Bravo, je voyage avec toi, c’est magnifique

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