Prendre soin de la terre et de son sommeil à O Batán

9 juin 2021, j’arrive à l’aéroport de Saint-Jacques De Compostelle, je suis super heureuse de retrouver mon amie Julie. Elle, son compagnon Tom et leurs deux enfants, Basil et Oihan vivent en Galice à 40min en voiture de la ville sainte, près de Boimorto, à O Batán. La merveilleuse petite famille a le beau projet de vivre en auto-suffisance grâce à la permaculture. Ces belles âmes cultivent la terre et prennent soin de leurs bêtes au quotidien. Moi, la citadine pur jus doit m’adapter à un rythme de campagne et c’est tout sauf une évidence.

Pas de bruit de circulation, d’humains, rien, walou, ssssskat (sssssilence). Ma première nuit dans ce cocon a aussi été le premier remède à mes angoisses. Un bon sommeil, ça nettoie l’âme en profondeur. Cela faisait des semaines que je n’avais pas aussi bien dormi. Je suis définitivement loin de la ville, de ses turpitudes et des miennes. Les journées sont riches en activités : planter des tomates, arroser les arbres fruitiers, semer, rempoter, cuisiner, couper des fleurs de sureau, nourrir les poules, s’occuper des moutons, de l’âne, prendre soin.

Ici, « faire » prend tout son sens et vient répondre aux besoins primaires. Ici, pour manger, on plante et on élève. Pas pour tout mais assez pour en sentir l’importance. C’est tellement bon de récolter les fruits du travail de la terre pour se nourrir. Il y a beaucoup à faire. Et je n’ai clairement pas le temps de me torturer l’esprit ou de me plaindre avec une pelle en main et Basil sur le dos pendant qu’Oihan court partout.

  • Allez, fais des squats, me taquine Julie.
  • B*.T.C.H ! répons-je, sourire en coin.

Pendant cinq jours, je m’adapte à un autre rythme. Celui de la terre et de deux enfants. J’intègre d’autres habitudes, des essentiels. Bouger, bien se nourrir, prendre soin et bien dormir. Une vie dure et douce à la fois. De la nature, une famille, des ami.e.s.

  • Atchoum !
  • Leïla, ça va ?
  • Oui, oui, je suis juste allergique aux graminées et là, je suis servie.
  • T’es vraiment une enfant de la ville, t’es allergique à la nature, me lance Tom.
  • Mes ancêtres se retourneraient dans leurs tombes, s’ils me voyaient…

J’ai mal à mon héritage paysan. Celui des miens et des miennes travaillant la terre dans les montagnes de la région du Rif. Ils vivaient et pour certains continuent de vivre aussi de leurs bêtes et de leurs récoltes. Ma mère buvait le lait des vaches à même le pis. Je bois du lait d’avoine. Elle s’occupait du troupeau de moutons, je suis flexitarienne et ne dis jamais non à un bon snack. En une génération, tellement de changements, une frontière invisible s’est dessinée entre nous, une mer, un détroit, deux continents, deux manières d’aborder le monde et tellement d’amour et d’incompréhension dedans.

Mes parents, du village de Dar Kebdani à Bruxelles ont vécu une énorme transformation dans leur mode de vie. Je l’oublie souvent, trop souvent. Et ce sont des amis belges expatriés en Espagne, ma pote Julie, avec qui j’ai partagé les bancs de l’ISTI (école de traduction), et son compagnon, qui me le rappellent sans le savoir. J’ai hérité de la langue, de la religion, des coutumes, de la culture mais pas celle de la terre.

Pourtant, certains membres de ma famille possèdent des champs d’olivier. Devenus Belges, Allemands, Français ou Hollandais, nous regardons s’évaporer leurs connaissances tout en jouissant de la bonne huile des tontons qui continuent de choyer leurs terrains.  Nous en apprécions les fruits mais ignorons tout le labeur au quotidien, le travail, le faire, le savoir-faire, l’amour de la patcha mama. Je me sens tout à coup ridicule de manger du bio alors que je pourrais apprendre à en faire avec les miens.

  • J’ai envie de te cuisiner quelque chose pour ton anniversaire Julie. Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?
  • Des mssemen (rghaïf/crêpe marocaine)
  • Tu parles sérieux ?
  • Ça me manque trop. J’aimais trop les manger chez ta mère.
  • Je n’en ai jamais fait.
  • Tu parles sérieux ?

J’avais trop honte d’appeler yemma (maman) et de lui demander la recette. Internet, de la semoule fine, de l’huile et quelques heures plus tard, on avait nos précieux mssemen. Ils n’étaient pas aussi bons que ceux de maman mais c’était bon. On les a mangés avec des chipirones (encornets) et Tom avec du chorizo. Sacrilège suprême. Là, ce sont des loopings que font mes ancêtres dans leurs tombes, mais passons.

Cette première partie de séjour est un rappel à mes racines, à mes souvenirs de balade vers la rivière pour aller chercher l’eau. Avec mes cousins et cousins « d’Europe », on trouvait ça chouette, on se disputait pour monter sur l’âne.  Qu’est-ce que je me sens con quand j’y repense…. On était des enfants, on y voyait une activité amusante, c’était le quotidien, été comme hiver de mes cousines « du bled ». Là aussi, il y a tant d’histoires à raconter, tant de savoirs à documenter. Aujourd’hui, je sens un besoin urgent de me réapproprier mes mondes, celui enfoui en moi, dont j’ai hérité et celui que je construis tous les jours dans mon quotidien et durant mes voyages. Se réformer comme on peut, conserver, transmettre, s’éduquer, apprendre, sublimer nos histoires et nos savoir-faire et leur redonner la lumière et la valeur qu’ils méritent. Je suis en quête perpétuelle. Il est temps pour moi de (me) refaire confiance, de refaire ma valise et de choisir une nouvelle destination. Là aussi, je cherche encore.

Avant d’aller me coucher, fatiguée d’une journée de « faire », je demande à Julie :

  • Tu veux bien me déposer à la gare de Saint Jacques de Compostelle demain ?
  • Tu vas où ?
  • Je n’en sais rien, je verrai ça demain.

2 Replies to “Prendre soin de la terre et de son sommeil à O Batán”

  1. Merci de m’avoir fait voyager Leila,c’est fantastique et émouvant

    1. Merci de me lire Mariama ! C’est toi qui es fantastique 😉

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